SOS Chrétiens d’Orient et la propagande de Damas, miroir de nos compromissions partagées

Soumis par Marie Peltier le mar 22/03/2022 - 21:37
SOS Chrétiens d'Orient Syrie Propagande

Article initialement publié dans la revue Golias

 

Pour justifier son pouvoir, une dictature a besoin de produire un récit. C’est le cas aussi d’une démocratie, bien sûr. Une société ne peut pas exister sans avoir un logiciel commun pour se raconter. Mais pour un pouvoir autoritaire l’enjeu n’est pas seulement son existence : Il est aussi de justifier son entreprise de répression. Il est question de proposer un discours qui rend cette répression acceptable, parce que perçue comme nécessaire. A ce titre, le régime de Bachar El Assad, aidé de ses alliés russes et iraniens notamment, a été en quelque sorte un cas d’école de communication d’une dictature du 21ème siècle. Cas d’école parce qu’il a pu utiliser les obsessions contemporaines pour proposer un récit clé-en-main qui a trouvé un large écho à l’échelle internationale. En s’adressant à quelques « publics-cibles », Assad a ainsi pu trouver de l’adhésion dans des milieux et familles politiques très divers, tous étant aveuglés par leur angles morts qu’un criminel de guerre a pu exploiter à son profit.


Dès le début du soulèvement populaire qui lui a fait face en 2011, le régime de Damas a pris un soin particulier à communiquer, particulièrement à l’égard des opinions publiques occidentales. Le moteur principal de cette communication peut être résumé comme suit : Il s’est agi dès le départ de travailler à désensibiliser au sort des Syriens. Cette opération discursive avait et a toujours pour but principal que nos conversations sur la Syrie, qu’elles se tiennent sur un plateau de télévision, en ligne ou au bistrot du coin, ne porte pas sur les revendications politiques de la rue syrienne mais d’abord et toujours sur nos préoccupation politiques à nous, dans le débat public ici. Comme si parler de la Syrie était une occasion pour régler nos propres comptes. Comme si les Syriens pouvaient être réifiés pour marquer des points et faire avancer notre vision du monde et nos postulats idéologiques. Assad a ainsi su proposer un récit qui venait flatter nos convictions préétablies, en même temps qu’il nous offrait une posture qui permettait à chacun de s’exprimer sur la Syrie même en n’y connaissant absolument rien. 


En Occident, et particulièrement en Europe, Assad a particulièrement réussi à flatter deux groupes socio-politiques : une partie non-négligeable de l’extrême gauche, qu’il a largement su convaincre à travers une posture prétendument anti-impérialiste et antisystème, ainsi que l’extrême droite, qu’il a rallié à sa cause avec des arguments essentiellement de type civilisationnel. Face aux premiers, il était question d’endosser le rôle du « grand résistant » à l’Occident, et aux médias et politiques occidentaux. Face aux seconds, tout était affaire de président cravaté, faisant face aux hordes de barbares islamistes et sanguinaires et protecteur des minorités persécutées de Syrie. On ne peut comprendre le rôle occupé par l’organisation française d’extrême droite SOS Chrétiens d’Orient sans prendre en compte l’importance de cette dernière sémantique pour la diffusion de la propagande assadiste. 


SOS Chrétiens d’Orient a joué et joue encore un rôle central dans cette communication de Damas, mais aussi d’autres pouvoirs autoritaires de la région à l’instar de l’Egypte de Sissi, à destination du public d’extrême droite, et plus largement des sphères catholiques. En se parant d’une visée humanitaire – l’aide aux Chrétiens du Moyen-Orient – et d’un vernis de tour-opérateur culturel et religieux, cette organisation française est une plus-value certaine pour le régime en place. Elle permet d’assoir l’idée que la Syrie est un pays sûr pour les populations chrétiennes, dont l’existence serait en quelque sorte dépendante du maintien de la dictature. Il ne s’agit donc pas seulement de secourir par conviction les Chrétiens de la région, mais aussi de servir de vitrine à un pouvoir qui a fait de cette question un véritable fonds de commerce, en même temps qu’une assurance-vie. 


C’est aux environs du mois de septembre 2013 que SOS Chrétiens d’Orient voit le jour, dans un contexte de tournant majeur du conflit syrien. Cette période suit les attaques chimiques de la Ghouta, qui ont eu lieu le 21 août 2013, et ce qu’on a ensuite dénommé la « reculade d’Obama ». Pour mémoire, les Etats-Unis, et la France dans leur sillage, avaient promis d’intervenir si la ligne rouge de l’utilisation des armes chimiques était franchie. Suite aux attaques, et après avoir annoncé une riposte imminente, Barack Obama, alors président des Etats-Unis, fait volte-face. La France, qui était sur le point d’intervenir aux côtés de leur allié américain, doit aussi reculer, ne pouvant militairement et politiquement se permettre de partir seule. Ce moment, qui a marqué le véritable abandon de l’opposition démocratique syrienne, a aussi été marquée par une intense activité de propagande et de désinformation de la part des soutiens d’Assad. Un discours remettant en cause la réalité même des attaques chimiques, ou encore leurs auteurs, a été porté par de multiples relais du régime, dans ce contexte précis où ils craignaient une intervention occidentale. 


Ce timing est important à rappeler pour comprendre le contexte de l’émergence d’une organisation qui dès le départ s’est inscrite dans une visée communicationnelle et de propagande. Car l’automne 2013 a été un réel moment d’organisation et de structuration pour les soutiens d’Assad : Gargarisés par ce qu’ils considéraient comme une victoire – la désertion du camp occidental – ils ont ainsi profité d’une sorte d’appel d’air. Désormais il était « acceptable » de défendre, même de manière voilée ou indirecte, la dictature syrienne, puisque cette dernière n’avait plus réellement d’acteurs politiques internationaux prêts à la mettre en danger.


En septembre 2013, se déroule dans le sillage des attaques chimiques une opération militaire autour duquel le régime syrien va faire grand bruit : La bataille de Maaloula, du nom de ce village du nord-est de Damas où cohabitent Chrétiens et Musulmans. Si le déroulé exact des évènements reste discuté, cette bourgade a été au cœur de violences entre le régime et groupes armés, notamment jihadistes. Ces derniers ont été accusés d’avoir tué et enlevé des civils, notamment chrétiens. Au-delà de ce caractère meurtrier, c’est aussi en termes de propagande que cet épisode fut fondateur pour les soutiens de Damas sensibles au sort des Chrétiens de Syrie. Car la dictature a choisi d’exploiter cet épisode pour se placer plus que jamais comme le défenseur et libérateur des populations chrétiennes, présentées comme menacées par l’opposition syrienne, assimilée dans son ensemble aux groupes jihadistes. Un récit qui évidemment visait parallèlement à détourner le regard des évènements récents de la Ghouta.


C’est donc dans ce contexte que Charles de Meyer et Benjamin Blanchard, membres fondateurs de SOS Chrétiens d’Orient et inconnus du secteur de l’aide humanitaire, se seraient rendus en Syrie dans le but de distribuer de la nourriture, des médicaments ou encore des jouets à travers le pays. Le narratif de l’organisation est dès lors posé. L’ancrage d’extrême droite l’est également. De Meyer et Blanchard sont déjà des militants engagés dans les sphères catholiques ultra-conservatrices : Ils se seraient d’ailleurs rencontrés quelques mois plus tôt en garde à vue, suit à une action de la Manif pour Tous. François-Xavier Gicquel, un ancien du Front national, est nommé chef de mission par l'organisation. Les rejoindra notamment Damien Rieu, qui s’était fait connaître par l’occupation de la mosquée de Poitiers en 2012 avec le groupe d’extrême droite « Génération Identitaire ».


L’organisation va rapidement trouver de l’ampleur et du soutien, non seulement à travers des appels aux dons – transitant largement par des appels aux paroisses en France – mais aussi par un volet plus spirituel et culturel, au travers de voyages organisés, à mi-chemin entre le pèlerinage et la visite touristique. Le tout en pleine répression du régime de Damas, qui a évidemment tout intérêt à présenter la Syrie comme un pays « sûr » - en particulier pour les Chrétiens. Elle se démarque aussi par l’envoi de jeune volontaires sur le terrain pour des activités éducatives ou de distribution de dons. Elle œuvre rapidement à travers d’autres pays de la région : l’Irak, le Liban et l’Égypte, la Jordanie ou plus récemment l’Arménie.

 

En France, SOS Chrétiens d’Orient rencontre un vif intérêt auprès des milieux catholiques conservateurs. Ces derniers sont non seulement pourvoyeurs de fonds pour l’organisation, mais aussi relais du narratif mis en avant par l’association à travers ses nombreux supports en ligne et en format papier. L’Eglise française elle-même est amenée à prendre ses distances avec cette organisation. En 2017, Mgr Pascal Gollnisch, directeur général de l’Œuvre d’Orient et vicaire général de l’ordinariat pour les Orientaux vivant en France, met en garde de manière très claire les évêques de France réunis à Lourdes. L’évêque relève d’une part la proximité de SOS Chrétiens d’Orient avec les réseaux de Marine Le Pen, mais aussi la complaisance évidente de cette organisation à l’égard du régime Assad. Il rappelle combien ce philanthropisme partisan est nuisible au sort même des Chrétiens dans ces pays du Monde. Mais hélas, cela n’empêchera SOS Chrétiens d’Orient de continuer son activisme au sein de certains réseaux catholiques. 


C’est aussi sur le plan politique que l’organisation va s’avérer de plus en plus active, en s’affichant de plus en plus régulièrement aux côtés d’élus de droite et d’extrême droite, mais aussi bien au-delà de ces seules sphères. En 2017, le label « partenaire de la défense nationale » est attribué à l'association par arrêté du ministère de la Défense français, qui ne se délestera de ce partenariat que trois ans plus tard. En 2019, une polémique éclate après que des élus de la Région Auvergne-Rhône-Alpes dénoncent le projet de subvention de l’association par la majorité de Laurent Wauquiez. Suite à ces dénonciations, le projet n’aboutira pas. Mais la banalisation politique et idéologique est en marche. Les mairies affichant sur leur devanture leur soutien à SOS Chrétiens d’Orient se multiplient, à l’instar de la mairie du 16ème arrondissement de Paris il y encore à peine quelques semaines. 


C’est à la fin de l’année 2021 que les choses prennent une tournure autre. Est notamment rendu public le travail approfondi d’enquête de deux journalistes français, Stéphane Kenech et Inès Daïf, la véritable nature de l’organisation est mise à jour. Leur rapport publié par le Newlines Institute for Strategy and Policy (Washington DC) documente en effet de manière très précise l’activisme de l’organisation auprès du régime de Damas. Cette dénonciation est aussi portée par plusieurs médias français, dont Médiapart, qui a aussi couvert cette question quelques mois auparavant.


Durant ce mois de février 2022, on apprenait ainsi que le parquet national antiterroriste aurait ouvert une enquête préliminaire pour complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. La mise en cause porterait essentiellement sur les liens de SOS Chrétiens d’Orient avec les milices chrétiennes pro-Assad accusées de crimes de guerre. Milices aux côtés desquelles les membres de l’organisation se sont à plusieurs reprises affichés sur les réseaux sociaux.


L’affaire est donc maintenant entre les mains de la Justice, mais pourrons-nous aussi nous interroger plus en profondeur ? Que nous dit cette affaire de nos compromissions partagées ? La propagande ne se combat pas seulement dans les cours de justice mais d’abord et avant tout autour de nous, dans sa banalisation quotidienne. Cette lutte de chaque instant est à notre portée à tous, dans un contexte où les dictatures œuvrent plus que jamais à la minimisation de leurs crimes.
 

Marie Peltier