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Obsessions
Dans les coulisses du récit complotiste
L’islamisme, Charlie, les violences à l’égard des femmes, la laïcité, Mediapart, Edwy Plenel, Tariq Ramadan, voici quelques-uns des objets sémantiques et personnages symboliques que l’on retrouve en boucle, depuis plusieurs années, dans des polémiques et à la faveur d’événements tragiques. Comme si un récit préfabriqué s’était imposé progressivement à nos esprits et avait façonné une configuration du débat public binarisée, se cristallisant ad libitum autour des mêmes obsessions.
Comment ce récit polarisé s’est-il mis en place ? Ou plutôt comment cette guerre entre récits a-t-elle trouvé dans le débat public un lieu de joute à la fois perpétuelle et stérile, où chacun fustige en boucle le « deux poids, deux mesures » du « camp d’en face » ? Quelles sont les coulisses du récit duquel nous sommes aujourd’hui prisonniers ? Comment sortir de cette arène où l’on est sommé de choisir entre deux haines, deux « coupables universels », deux obsessions ? Qu’est-ce qui sous-tend cet imaginaire de la délation et du doute systématique ? Comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi ? Pour qui ? Par quelles peurs ? Par quels échecs ? Et surtout : en espérant quoi ?
L'ère du complotisme
La maladie d'une société fracturée
À l’époque d’Internet, tout événement dramatique trouve sur les réseaux sociaux des « analystes » expliquant que la version officielle cache des intérêts secrets, selon un plan devant être soigneusement décrypté. « Réveillez-vous, on vous ment ! », clame Alain Soral devant sa webcam.
Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les discours complotistes ont proliféré sur la Toile, semant la méfiance envers tout discours officiel et creusant une scission de plus en plus grave au sein de notre société. Se présentant comme « alternatifs », ils prétendent rétablir une « vérité » dévoyée.
Si le fantasme d’un groupe occulte agissant dans l’ombre pour accomplir un but machiavélique n’est pas nouveau, il est important de connaître les ressorts actuels de ce phénomène. Car ces théories du complot ont remis au goût du jour des discours d’inspiration fasciste et antisémite, leur donnant une coloration « moderne ». Sur fond d’islamophobie et de haine des juifs, elles sont sous-tendues par une idéologie réactionnaire qui se nourrit des problèmes sociopolitiques contemporains.
Poser le bon diagnostic est indispensable car, loin d’être le fait de farfelus ou d’ignorants, le complotisme est le symptôme d’une véritable maladie de société.