Militantisme et emprise sectaire : Sortir du silence

Soumis par Marie Peltier le sam 17/07/2021 - 18:19
Militantisme et emprise sectaire

Il y a deux ans, je quittais un « collectif » que j’avais contribué à fonder. Je le quittais dans un état psychologique dévasté, ne comprenant de surcroit rien à ce qui m’arrivait. J’avais fort heureusement été sauvée par un instinct de survie, celui-là même que j’avais réprimé pendant de longs mois, alors que tous les voyants physiques étaient au rouge. Un gros travail psy plus tard et des heures de discussion avec d’autres nanas qui ont subi la même dévastation avec les mêmes personnes, il m’est aujourd’hui possible de dégager de cette expérience quelques points d’observation qui je l’espère, pourront éclairer d’autres personnes enlisées dans la même situation. L’engagement politique requiert deux choses fondamentales : la liberté et discernement. Sans l’un et l’autre, fuyez. Car la « cause » pour laquelle vous pensez vous dévouer peut vous conduire dans les méandres de la manipulation la plus crasse, et ainsi vous faire perdre pied.

 

La séduction et la prédation


Les choses commencent généralement par une lune de miel. Le sentiment d’être choisie et choyée, l’impression que ce que l’on est a une valeur particulière, nécessaire à la bonne défense de la « cause » qui exige notre dévouement entier. Certaines sont repérées, approchées, mises sur un piédestal. Elles sont repérées sous le prisme de ce qu’elles vont pouvoir apporter, dans une optique éminemment utilitariste, mais n’en ont au départ aucune conscience. Elles sont approchées aussi en raison d’une certaine fragilité psy, circonstancielle ou plus profonde dans leur histoire. Il y a chez elles une faille, d’ordre affectif, qui d’un coup semble être comblée.


Le sentiment qui prédomine dans cette phase de « premiers ébats » est de participer à quelque chose de « différent », qui nous dépasse et qui mérite donc qu’on s’y consacre sans limites. L’expérience est très proche de l’expérience amoureuse : L’envie inextinguible d’être ensemble, le désir de franchir toutes les montagnes, ce sentiment d’invincibilité. Et déjà, l’isolement qui va avec. Emportées par la passion, tout le reste et tout le monde semble fade. Car rien n’a de goût à côté de ces moments vibrants que nous passons avec des personnes qui semblent soudainement nous « compléter », nous « comprendre », nous « soutenir ». Autant de mirages qui vont ancrer l’emprise durablement. 

 

La mégalomanie et la paranoïa


Se met alors en place un véritable système – au demeurant très proche du fonctionnement des sphères conspirationnistes, même quand il émane de personnes qui prétendent leur faire face. Ce système repose sur deux piliers, qui se renforcent mutuellement : Penser qu’on est au-dessus de tout le monde – plus intelligents, plus lucides, plus vertueux – et penser dans le même mouvement que tout le monde nous jalouse et/ou nous veut du mal. Une manière de sceller une « loyauté » qui s’avérera redoutablement perverse et destructrice. Le monde devient une terre hostile, peuplée de gens qui veulent nous faire des « sales coups ». Tout est interprété à l’aune de ce postulat et l’horizon devient méfiance.


C’est au cœur de ce délire – car c’est bien de cela dont il s’agit – que les réseaux sociaux s’avèrent être une arme redoutable. Ce qui explique la place désormais prépondérante de ces « outils » dans ces dynamiques de pouvoir et d’assujettissement. Les réseaux offrent l’illusion de la toute-puissance par le contrôle – qui like qui, qui dit quoi sur qui, qui semble se rapprocher de « l’Ennemi » etc – et par les jeux d’adoubement qu’ils construisent de manière factice. S’édifient ainsi des petits cercles de pouvoir particulièrement propices aux gourous militants, qui utilisent les plateformes pour faire et défaire leurs disciples, dans un mélange de terreur et de fascination. Ces lieux deviennent ainsi l’instrument ultime de la manipulation : ce qui y est en jeu n’est pas seulement la quête effrénée de validation, constitutive du fonctionnement même des plateformes, mais aussi et surtout la crainte de ne plus être validé.e par celles et ceux qui semblent y régner. On peut ainsi sans s’en rendre compte basculer dans un imaginaire d’hypervigilance – tout est potentiellement le signe de mon ostracisation – et de délires de grandeur – si j’ai autant de likes, de followers, de compliments, c’est quand même que je suis important.e, non ?

 

Politisation des affects et messages cryptiques 


Si la place prépondérante des réseaux sociaux n’est pas le propre des milieux militants, une chose est bien caractéristique de ces derniers : en plus d’être eux-mêmes enlisés dans ce rapport addictif à la stimulation émotionnelle en ligne, les gourous politiques prétendent lui donner du sens en la politisant. Quelqu’un n’est pas d’accord avec eux, émet une critique, déplore certaines méthodes ? C’est toujours forcément le signe d’une rupture politique complète et inextricable. Ils jalousent une situation, une réussite, une relation ?  Ce n’est jamais de la jalousie, mais le symptôme d’un désaccord idéologique profond. Ils se disputent avec quelqu’un ou en veulent à quelqu’un ? Il est alors question de construire une argumentation politique pour justifier la mise au ban de cette personne, et ainsi s’en délester.

Le politique ne devient plus que paravent et prétexte. Il devient récit qui pare les émotions de signifiants. Il devient abus aussi. Un discours prétendument émancipateur et porté vers le bien commun – c’est bien ce qui devrait animer le militantisme – qui se mue en réalité en règlements de compte personnels incessants. Incessants et cryptiques. Donc pervers, au sens premier du terme. Le politique est dévoyé pour humilier, terroriser, se venger, monter les gens les uns contre les autres. Et au final semer la confusion idéologique la plus totale.

 

Au cœur de l’emprise : encore et toujours les mêmes logiques de domination


Un des grands leurres du militantisme, c’est qu’il a tendance à se surestimer, et à se penser au-delà des logiques de domination déjà à l’œuvre dans la société. C’est en réalité tout l’inverse : ces logiques de domination y sont exacerbées, et d’autant plus décomplexées qu’elles sont précisément déniées. Les logiques de classe y jouent notamment un rôle prépondérant, créant des liens de dépendance – financiers notamment – parmi les plus délétères qui soient. Le patriarcat y sévit sous une forme extrêmement brutale et ce n’est hélas pas pour rien qu’une grande partie des victimes de ces fonctionnements sectaires sont des femmes. Le racisme y est souvent d’autant plus présent qu’il ne dit pas son nom.


Se creuse de cette manière un écart toujours plus grand entre la parole et les actes. Et c’est ce qui à mes yeux est le plus dévastateur. C’est en tout cas ce qui m’a dévastée : réaliser que des personnes que j’admirais de tout mon cœur, en qui j’avais une confiance d’enfant, que je pensais les plus intègres et les plus cohérentes, étaient en réalité des impostures. Que tout n’était que posture précisément, et malveillance de surcroit. Au service des logiques de domination qui déjà m’asservissent au quotidien.

 


Retrouver sa liberté et libérer la parole


Toute expérience devient ce qu’on en fait. Être victime d’abus est une première chose à reconnaître et il ne peut y avoir en la matière d’équidistance à la sauce « développement personnel » (« chacun sa part de responsabilité », « chacun son ressenti » et autres fadaises habituelles au service des bourreaux). Mais une fois cette réalité reconnue, on peut décider de ce qu’on en fait. Cela a été personnellement l’objet de toutes mes énergies depuis deux ans.


Ma plus grande crainte était de devenir semblable à ceux qui m’avaient détruite et de reproduire à mon tour certains de leurs comportements. Et même si j’y ai résisté autant que possible, je ne peux jurer que je n’ai jamais été habitée par l’envie de vengeance et d’anéantissement. Simplement, je me suis donné les moyens de la transformer.


Ces moyens sont d’abord et avant tout le travail sur soi car s’il on a été victime, il est important de comprendre comment cela a pu arriver. Parce que bien sûr, une partie des explications vient de notre histoire, de nos peurs et de nos insécurités. Il est question de comprendre pourquoi on n’a pas été capable de dire « stop », pourquoi on n’est pas parti plus tôt, pourquoi on n’a pas écouté notre intuition, pourquoi on a encore et toujours pardonné l’impardonnable. Il est question de nous renforcer intérieurement, parce que là réside notre capacité à retrouver notre liberté.


Ce dont je peux témoigner, c’est que la parole libère, et que c’est un mouvement qu’on ne peut pas arrêter. Si comprendre permet de mettre des mots, mettre des mots permet à son tour de comprendre, dans une boucle vertueuse qui permet de s’affranchir de la peur qui jusque là nous terrassait. L’une des choses qui a été la plus déterminante pour moi a été de parler avec d’autres femmes qui avaient vécu la même expérience, et de comprendre que je n’étais pas seule, et de comprendre que je n’étais pas folle non plus – car c’est bien ce qu’on m’avait conduite à penser.


C’est donc libre que j’écris ces mots. Libre de tout gourou mais aussi libre de réaffirmer qu’aucune « cause » ne peut jamais justifier de se perdre physiquement et psychiquement. En politique, il y a un curseur à ne jamais perdre de vue : s’il faut choisir entre l’illusion de pouvoir ou le respect humain, la première option – aussi séduisante soit-elle – nous placera inéluctablement du côté des fossoyeurs de la liberté, et donc des perdants.

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