Complotisme et radicalisation ou le syndrome de la mémoire courte

Soumis par Marie Peltier le ven 21/05/2021 - 11:43
Complotisme et radicalisation

Pas une semaine ne passe depuis le début de l’année où l’on n’entende pas parler d’une affaire de « radicalisation complotiste », de la « menace complotiste » qui pèse sur nos sociétés, du « danger » que représente le complotisme pour la démocratie. Est-ce que réellement ces affaires de rapts d’enfants, de projets d’attentats, de volonté insurrectionnelle se multiplient ? Ou doit-on y voir une volonté politique de mettre la lumière sur un seul aspect de l’imaginaire conspirationniste en prétendant « prendre les moyens » pour le combattre ? N’assiste-on pas à une grosse opération de com’, assez grossière sur la forme et très dangereuse sur le fond ?

La comparaison entre complotisme et radicalisation a commencé à poindre relativement récemment, au vu de l’histoire du conspirationnisme contemporain. D’un coup, il y a quelques mois, on a vu se multiplier les « témoignages de repentis », nous narrant des histoires d’épouvante au sein de ce qui est présenté désormais comme la grande « secte » des antisystèmes. Ces témoignages ont l’avantage de nous faire sentir du « bon côté » et de recouvrir aussi un sentiment de toute-puissance : Nous donner l’illusion qu’on peut « faire revenir à la raison » des brebis égarées dans les méandres de la paranoïa post-11 septembre 2001. Ces récits sont ainsi réconfortants mais ce qu’ils disent de notre appréhension du complotisme est affligeant : Nous continuons à nous bercer de l’illusion que la frontière entre conspirationnisme et non-conspirationnisme est claire et intangible. Nous continuons à nous aveugler en nous persuadant que nous évoluons forcément et sans questionnement du « bon côté » de la ligne rouge.

Cette évolution sémantique est en train de permettre un immense dédouanement : celui qui consiste à penser qu’on peut combattre le conspirationnisme sans nous interroger sur les causes politiques de son expansion dans nos sociétés. On peut ainsi prôner des approches tantôt psycho-cognitives, tantôt cyberperformantes, qui ont l’énorme avantage de ne pas nous questionner sur notre très grande responsabilité collective dans le climat politique de défiance que traversent actuellement nos sociétés.

On se souvient à cet égard de l’opportunisme qui avait régné il y a quelques années autour de la « lutte contre la radicalisation », chacun proposant à grands coups de moyens financiers et à grands coups de com’, sa solution pour « déradicaliser ». On se souvient aussi de la multiplication des papiers dans la presse trahissant la fascination pour ce phénomène et pour les personnes qui avaient été prises dans cette spirale infernale. On se souvient de la guerre des experts. On se souvient qu’en même temps qu’on surcommuniquait à ce sujet, il n’y avait plus guère de place pour parler des révolutionnaires syriens, de la lutte pour les droits humains et la démocratie, plus guère le temps de s’occuper du cordon sanitaire et des balises antifascistes. C’était d’ailleurs un temps ou l’extrême-droite ne faisait pas recette dans les médias. Ou plutôt où elle faisait particulièrement recette, mais pas parce qu’elle était présentée comme une menace pour nos sociétés : non, parce qu’elle aussi prétendait combattre le radicalisme. Et qu’elle disait de facto se tenir à nos côtés.

Est-ce qu’on se souvient bien, au fond ?

Marie Peltier.